ÉVéNEMENTS

Compte rendu : Visite de l’exposition « Déportées à Ravensbrück, 1942-1945 »

15 avril 2023

Par Lucile Chartain

Le 15 avril 2023, un groupe d’une vingtaine d’alumni a découvert l’exposition « Déportées à Ravensbrück, 1942-1945 » sur le site des Archives nationales de Pierrefitte-sur-Seine après un déjeuner commun au restaurant « Le Basilic » (situé en face de la basilique de Saint-Denis, nécropole des rois de France).

La visite a été guidée par Lucile Chartain, administratrice de notre association, qui est co-responsable des archives de la Seconde Guerre mondiale et commissaire scientifique de l’exposition avec Marine Garnier.

Le site des Archives nationales de Pierrefitte-sur-Seine, inauguré en 2013, est le plus grand centre d’archives d’Europe. Il a été réalisé par l’architecte Massimiliano Fuksas pour accueillir les archives postérieures à la Révolution française.

Il est doté d’une grande salle destinée à l’accueil d’expositions temporaires, aménagée ici spécifiquement en interne par les équipes des Archives nationales pour la production de cette exposition « maison » (présentée du 3 février au 16 juin 2023).

Entre janvier 1942 et septembre 1944, 9 000 femmes vivant en France ont été déportées en Allemagne du fait de leur opposition au régime nazi. Environ 7 000 d’entre elles ont été transférées au camp de concentration de Ravensbrück, principalement réservé aux femmes et situé à 80 kilomètres au nord de Berlin. 130 000 personnes sont incarcérées au camp entre 1939 et 1945.

Le mémorial de Ravensbrück a inauguré le 30 avril 2022 une exposition sur panneaux intitulée Résistance, répression, déportation. Femmes de France au camp de concentration de Ravensbrück, 1942-1945. Des documents des Archives nationales y étaient présentés.

En écho à cette manifestation, les Archives nationales proposent au public l’exposition Déportées à Ravensbrück, 1942-1945. Celle-ci s’attache principalement à restituer les parcours de seize femmes déportées depuis la France à partir de documents et d’objets originaux issus des fonds de l’institution.

Les documents, organisés autour de 5 grandes sections chronothématiques, font état de la surveillance de ces femmes avant leur arrestation, de leur engagement dans des mouvements et des réseaux de résistance, de leur internement en France, avant d’exposer leur quotidien et leur survie à Ravensbrück. L’exposition est également l’occasion d’évoquer le retour des rescapées, leur reconstruction et leur engagement pour la mémoire de la résistance et de la déportation. Le parcours se termine par la présentation d’extraits de témoignages vidéos de 7 anciennes déportées, recueillis par la Fondation pour la mémoire de la déportation dans les années 1990/2000. Ils sont l’occasion d’entendre notamment les voix de Jacqueline Fleury et de Marie-José Chombart de Lauwe, toutes deux dans leur centième année en 2023, qui n’ont cessé d’oeuvrer pour la mémoire de la déportation.

Certains des parcours exposés, comme ceux de Germaine Tillion ou d’Anise Postel-Vinay, sont connus et documentés par leurs témoignages et leur travail scientifique et historique sur les camps. D’autres, comme ceux d’Yvonne Baratte ou de Marie Alizon, décédées en déportation, sont plus méconnus : leur mémoire a, avant tout, été perpétuée par les survivantes.

Les documents présentés, grâce au croisement entre archives privées et publiques conservées aux Archives nationales, favorisent une évocation riche et foisonnante des différents parcours de ces femmes déportées à Ravensbrück.

Les archives publiques de la police et de la justice sont notamment des sources précieuses pour illustrer certaines thématiques de l’exposition ayant trait à l’engagement politique et sociétal. La surveillance des militantes communistes avant et après la guerre est par exemple évoquée à travers des notes des Renseignements généraux issues des fonds de la direction de la Sûreté. Ces archives retracent notamment le parcours de Martha Desrumaux, syndicaliste originaire du Nord, et de Teresa Noce, cofondatrice du parti communiste italien en 1921, exilée en France dans l’entre-deux-guerres et arrêtée pour son engagement contre l’occupant allemand.

“Courrier de la Fédération des travailleurs du textile de France au ministère de l’Intérieur protestant contre l’interdiction de séjour en France après-guerre de Teresa Noce, députée italienne communiste, ancienne déportée à Ravensbrück pour appartenance à la Résistance en France au sein des FTP-MOI (Francs-tireurs et partisans – main-d’œuvre immigrée).” (Archives nationales, fonds de la direction générale de la Sûreté nationale, 19800271/145).

De même, les archives de la section spéciale de la cour d’appel de Paris permettent de mettre en lumière les modes d’action de la résistance féminine et les rouages de sa répression.

Des fonds privés d’une grande richesse, collectés auprès d’associations, d’anciennes déportées et de leurs proches, permettent également d’éclairer les conditions de détention des femmes emprisonnées en France puis à Ravensbrück. C’est le cas notamment des fonds Artur et Lise London, Jacqueline Péry d’Alincourt, Yvonne Baratte, Noëlla Rouget, Simone Alizon ou encore Janine Carlotti.

“Billet clandestin rédigé par Janine Carlotti à Fresnes le jour de sa déportation par le dernier convoi parti d’Île-de-France, le 15 août 1944 : le texte, probablement adressé à sa famille, détaille les étapes de sa captivité et signale sa déportation « pour destination inconnue » (Allemagne ?)”. (Archives nationales, fonds Janine Carlotti, 72AJ/NC_JPL/13)

Parmi les documents marquants issus de ces archives, on compte par exemple des lettres et des billets clandestins rédigés en prison par Lise London et Noëlla Rouget avant leur départ pour l’Allemagne. La correspondance précaire qu’elles entretiennent avec leurs proches dévoile une détention ponctuée de violences et d’événements marquants : le fiancé de Noëlla Rouget, incarcéré en même temps qu’elle à la prison d’Angers, est fusillé en décembre 1943, tandis que Lise London accouche de son fils Gérard en avril 1943 à la prison de la Petite Roquette.

Des petits billets signés par les soeurs Simone et Marie Alizon, jetés du train qui les déporte depuis Compiègne et destinés à leur père, sont également présentés dans l’exposition. Le ton des soeurs bretonnes, déterminé, se veut rassurant : « Sommes dans le train pour l’Allemagne, toutes les deux bonne santé bon moral.[…] Courage mon petit père. A bientôt. C’est la fin ! » L’un des billets porte une mention confirmant sa transmission et témoignant des chaînes de solidarité à l’oeuvre autour des convois de déportation : « Trouvé ce papier dans mon jardin le long de la voie ferrée Compiègne-Tergnier et vous l’envoie aussitôt. 28/02/43. »

Des documents et des objets ramenés de Ravensbrück sont également exposés. Certains, présentés pour la première fois, traduisent les conditions extrêmes dans lesquelles vivent ou survivent les déportées. Ainsi, les esquisses réalisées par Yvonne Baratte quelques jours avant son décès à Ravensbrück font revivre les visages de ses camarades de déportation et laissent entrevoir la dureté des travaux au camp. De même, les menus objets rapportés de déportation par Ariane Kohn sont les témoins précieux de son quotidien : une minuscule écuelle, une cuillère en bois gravée au dos d’une croix de Lorraine, des épingles à cheveux en fil de fer, un peigne de fortune, un mouchoir récupéré dans la poche d’un manteau attribué lors de l’évacuation du camp.

Enfin, une partie des documents exposés témoigne du progressif retour à la vie des femmes revenues de Ravensbrück et des liens d’amitié durables tissés en déportation. Un carnet tenu par Janine Carlotti narre par exemple son quotidien lors des derniers jours de fonctionnement du camp, sa libération par les troupes soviétiques et son lent rétablissement physique et psychique au cours des mois suivants. Est également exposé un livre d’or offert à Noëlla Rouget par ses compagnes lors de son départ du chalet de la Gumfluh, maison de convalescence fondée par l’Association nationale des anciennes déportées et internées de la Résistance [ADIR] dès l’automne 1945. Il s’ouvre avec quelques mots éloquents de Geneviève de Gaulle, évoquant Ravensbrück comme un événement à la fois traumatique et fondateur : « Avec ma profonde amitié chère Noëlla, celle qui est née à Ravensbrück pendant nos méditations en commun et notre mois de Marie le soir derrière le block 27. « 

“Livre d’or remis à Noëlla Rouget en novembre 1945 par ses camarades de déportation à la fin de leur convalescence collective à Château d’OEx, en Suisse” (Archives nationales, fonds Noëlla Rouget, 72AJ/NC_Privés/45)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Après la présentation de l’exposition, une visite guidée des bâtiments a été proposée aux participants par Lucile Chartain. Les alumni qui avaient participé à la visite du site en 2022 ont, quant à eux, pu découvrir, en fac similé, la mini exposition consacrée à la loi d’abolition de la peine de mort dans le cadre du cycle « Les Essentiels » (cf. https://www.archives-nationales.culture.gouv.fr/abolition-de-la-peine-de-mort).

*A noter : le livret de l’exposition est téléchargeable en format PDF via la page dédiée à l’événement sur le site Internet des Archives nationales (https://www.archives-nationales.culture.gouv.fr/deportees-a-ravensbruck-1942-1945, onglet « livret de visite » sous le titre de l’exposition).

*Un article a également été consacré à l’exposition sur le site Internet du ministère de la culture : https://www.culture.gouv.fr/Actualites/Expositions-faire-vivre-la-memoire-des-victimes-de-la-barbarie-nazie