ÉVéNEMENTS

Compte rendu : Visite de l’exposition Baselitz au Centre Pompidou

22 janvier 2022

Pour rendre hommage à l’artiste allemand, Hans-Georg Kern, plutôt connu sous le nom de Georg Baselitz, issu de Deutschbaselitz en Saxe, le Centre Pompidou expose ses œuvres les plus chères. En groupe de 15 personnes, le DAAD Alumni France s’est ainsi lancé à la découverte du travail et de la vie de l’artiste. La visite guidée nous a permis de plonger véritablement dans son monde marqué par l’Histoire, son entourage et son envie de rebeller contre les voix rigides de son temps. Étant né juste avant la deuxième guerre mondiale, sa mémoire est fortement marquée par les images de la guerre et le système autoritaire qui domine l’Allemagne. Suite à cela, l’artiste essaie de décomposer et de se rebeller contre le système oppressant. Dans une interview, il exprime ces lignes suivantes qui dévoilent son intention artistique :

« Je suis né dans un ordre détruit, un paysage détruit, un peuple, une société détruite. Et je n’ai pas voulu réinstaurer un ordre ; j’avais vu assez de soi-disant ordre. J’ai été contraint de tout remettre en question, d’être « naïf », de repartir à zéro. Je n’ai ni la sensibilité ni la culture ni la philosophie des maniéristes italiens, mais je suis maniériste au sens où je déforme les choses. Je suis brutal, naïf et gothique. »

C’est exactement cette brutalité que l’on aperçoit tout au début de l’exposition. La première salle contient des images de corps se désintégrant. Baselitz se rendait dans des marais pour trouver des parties de cadavres attaqués par la nature, en voie de décomposition. Puis, les peintures qui montrent le sexe d’hommes (en érection) en format surdimensionné reprennent la notion du désordre et de l’obscurité qu’il décrit dans l’interview. De plus, on a l’impression qu’il se révolte contre le monde et que le chaos visualisé est signe d’un processus d’identité, de trouver sa place dans la société (en tant qu’artiste). D’ailleurs, l’École des arts plastiques et des arts appliqués de Berlin-Est le renvoie pour « manque de maturité sociopolitique ». Avec son œuvre « Un type nouveau », aussi nommé « Héros » et « Les Grands Amis », il représente la difficulté qu’a l’Allemagne pour s’unir. Dans l’image on peut voir un homme qui tend la main à un autre qui lui garde sa main en poing. Pour cette image représentant deux homme et un autoportrait se montrant nu, l’artiste fu accusé d’être homosexuel. De plus, l’une des œuvres a été confisquée par la justice.

Cette Allemagne divisée se reflète également dans les œuvres fracturées, impressionnantes car l’artiste crée une mosaïque et de différentes images sur une seule toile (exemple « Meißener Waldarbeiter », 1968-1969). La peinture : « Zwei Meißener Waldarbeiter » (1967) montrent deux hommes militaires avec des manteaux verts, des chiens rouges déchainés symbolisant les Soviétiques. D’une part on a l’impression de se retrouver devant une situation désastreuse, presque un champ de bataille (exemple : « B für Larry »). La brisure avec les conventions de la figuration de son temps est également l’initiation pour sa méthode de renverser l’image, c’est-à-dire de peindre à l’envers et même à la verticale. Ainsi il entraine un basculement du monde réel. Il est d’avis que l’art ne nécessite point d’intention précise ou d’un thème qui sous-titre les œuvres, mais que l’art se raconte soi-même.

A côté de cette nouvelle méthode de visualiser le monde, le guide nous raconte que Baselitz se réinvente sans cesse et commence à se servir de son corps, par exemple de ses mains, également d’excréments pour s’exprimer. Cette information renvoie à son désir de se libérer des ordres prescrits par son père, étant nazi convaincu et le régime national-socialiste. En outre, elle fait preuve de son besoin de travailler les souvenirs de la guerre.

Autres aspects qui changent ses images sont qu’elles deviennent de plus en plus dynamiques, mouvementées et vivaces, suite à l’emploi de couleurs beaucoup plus fortes qu’au préalable.

 

Saviez-vous que les couleurs étaient très chères à l’époque et que son emploi symbolisait le succès d’un artiste ? Au début, Baselitz se servait des restes de peinture et les mélangeait pour obtenir de différentes couleurs. Néanmoins, elles restaient dans des tons obscurs et gris. Lors de son exposition à la biennale à Venise, il atteint l’apogée de sa carrière. La salle dans le musée qui représente ses œuvres est la plus lumineuse de toutes. C’est là où se trouve l’image représentative de l’exposition Baselitz s’appelle « Die Mädchen von Olmo » (1981). Peint de façon renversée, il dessine deux femmes en vélo qu’il a vu lors de son séjour en Italie. Le turquoise, le jaune et le rouge traités de manière abusive et la simplicité des images créent une légèreté.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La sculpture au milieu de la salle, créée dans le cadre d’une exposition d’art africain (1977), composée de trois troncs d’arbres, montre d’un côté le prestige de Baselitz en tant qu’artiste. D’autre côté, la sculpture révèle être une forte provocation : L’homme soi- disant originaire des moais de l’île de Pâques lève son bras droit. Tâchés de noirs, rouge et le doré du tronc, les couleurs font penser au drapeau allemand. Cette sculpture a pour conséquence que ses critiqueurs accusent Baselitz une fois de plus d’être nazi. A mon avis, bien que Baselitz nie cette accusation, il n’est pas la personne naïve qu’il décrit être dans l’interview et sait jouer avec les thèmes sensibles de son époque qui montrent que l’Allemagne ne cesse d’être blessée, divisée et en plein processus de reconstruction suite à son passé qui lui pèse fort. Ce qu’il ne faut pas oublier, c’est que cette sculpture a été exposée lors de La Biennale de Venise en 1980 en représentation de l’Allemagne de l’Ouest (RFA). De nouveau, on voit que l’artiste cherche à faire basculer la société pour qui « l’art ne peut avoir de sens pour la société que s’il signale des conflits ».

S’inspirant par des œuvres d’artistes célèbres, comme Caspar David Friedrich ou Edvard Munch, il réinterprète des œuvres connues et les recrée à sa manière. Il fait preuve d’une grande liberté et de confiance en soi et en ses critiqueurs de reprendre des images célèbres, n’étant pas les siennes.

Pour le Reichstag, Baselitz peint deux tableaux. Cela me semble impressionnant, car étant fortement critiqué et en critiquant la société, il profite d’une reconnaissance politique qui l’incite à créer des œuvres. Elle se sert de sa célébrité et l’augmente encore plus. Cette ambiguïté d’interdépendance entre l’artiste allemand et son plus grand ennemi qu’est l’état me semble étrange. Des années plus tard, il découvre avoir été espionné par la STASI durant la séparation de l’Allemagne.

Les collections « Dévotion » (2018) travaillant des autoportraits d’artistes et « Remix » (2008) reprenant des œuvres d’autres artistes continuent d’être peintes à l’envers (« Pauls Hund » (2008) et « Olmo-Mädchen » (2008) et « Moderner Maler » (2007)). Elles font preuve d’un style différent de représenter le monde, d’une manière plus abstraite de traiter l’Histoire et la mémoire collective de l’Allemagne. « Moderner Maler » fait penser au sang qui a coulé durant la guerre et « Pauls Hund » semble reprendre la croix gammée hitlérienne.

Terminant l’exposition, les peintures deviennent de plus en plus simples, sans intérêt fort de critiquer ou d’être à la recherche de conflits. Elles montrent que Baselitz a atteint un certain âge et qu’il n’est plus capable d’enchainer le dynamisme connu durant son âge d’or. Il paraît qu’il est à la recherche de calme dans son travail et dans sa vie peut-être, créant des images plus apaisantes. Entre ténacité, courage, un talent incroyable et la volonté de faire bouger les gens -ou bien l’Allemagne ?- Georg Baselitz n’a impressionné pas que notre guide agréable, mais aussi tout notre groupe du DAAD, très curieux et content d’avoir pu profiter d’une visite prolongée et d’une promenade enrichissante au Centre Pompidou.

Rédigé par CT