PROJETS

Série de témoignages « Pourquoi je tiens à l’Europe »

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Premier témoignage de l’alumnus Marc Thuret :

« A la fin des années 60 encore, les trains s’arrêtaient aux frontières de chaque pays européen pour permettre les contrôles des douanes et de la police. Des barrières s’abattaient devant l’automobiliste pour lui signifier qu’il entrait dans un pays étranger, bardé de taxes que le voyageur allait devoir payer, de lois qu’il était suspecté de vouloir contourner… Quand enfin ces dispositifs de défiance mutuelle tombèrent, ce fut plus qu’un soulagement: un progrès dans la civilisation. Le voisin accueilli en partenaire, en client disposant de la même monnaie, en ami dont on comprend et encourage la curiosité; l’Europe comme espace ouvert à tous ceux qui en font partie, partagent sa culture ou veulent la découvrir – peut-on renoncer à cela sans un sentiment d’échec et de régression?

La libre circulation nous a rappelé ce que les nationalismes ont tenté de nous faire oublier: que l’Europe existe, en tant qu’espace commun d’abord, qu’aucune « frontière naturelle » n’interdit de parcourir, mais aussi en tant que culture, forgée ensemble malgré les différences de langues, de coutumes et de confessions. Les grands courants de pensée: universalisme chrétien du Moyen-Âge, Renaissance, Réforme, humanisme, Lumières, puis républicanisme laïque et démocratique (chauvinisme et fascisme, hélas, aussi) ont été des courants européens, présents et influents dans tous les pays du continent. Les idées qui, depuis Copernic, circulent en Europe d’une communauté de chercheurs à l’autre ont forgé l’esprit scientifique et permis des découvertes, qui, par le biais de leurs applications techniques, ont transformé la vie des hommes dans le monde entier. L’évolution des styles présente sur notre continent presque partout, et dans tous les domaines de l’art et de la littérature, les mêmes caractéristiques. Baroque, rococo, néoclassicisme, romantisme et réalisme se répandent dans l’espace européen comme dans un seul pays et donnent partout des œuvres faisant incontestablement partie d’un patrimoine unique auquel on s’est, à mon sens, jusqu’ici trop peu référé pour fonder un sentiment non seulement d’appartenance, mais aussi de fierté commune, car l’apport de la culture européenne, comme le remarque Emmanuel Carrère, « ne compte pas pour rien dans celle du monde ».

Revendiquer « une union toujours plus étroite » n’est donc pas faire violence à l’identité des peuples, mais c’est vouloir, pour paraphraser la formule de Willy Brandt, « souder ce qui est fait pour aller ensemble ». Et il va de soi que cette union doit se faire par le haut, c’est-à-dire en s’orientant sur l’exemple des pays les plus avancés en matière de gestion économique, mais aussi de protection sociale, de liberté d’opinion et d’information, de respect des droits de l’homme et de l’Etat de droit.
Cette exigence dérange souvent les habitudes, les positions acquises et les susceptibilités particularistes. Aussi les résistances sont-elles fortes – et elles seraient plus faciles à vaincre si les institutions européennes ne donnaient pas si souvent l’impression de céder à la pression des lobbies. Mais que seraient notre environnement, notre niveau d’hygiène et de santé si n’existaient pas ces normes européennes, que certains trouvent trop, d’autres pas assez contraignantes? Elles ont le mérite de nommer les problèmes, de définir les efforts à fournir, de fixer des limites dans des domaines où les frontières sont beaucoup plus nécessaires qu’entre pays voisins.

L’Europe a été et reste un facteur de progrès et de paix, un modèle porteur d’espoir dans toutes les régions du monde en proie à la discorde, à la tyrannie et à la violence. Il faut aujourd’hui plus que jamais poursuivre sa construction. »