ÉVéNEMENTS

Visite guidée de l’exposition «De l’Allemagne» au Louvre

7 juin 2013

De l’Allemagne (1800-1939), de Friedrich
à Beckmann.

* Texte rédigé par Catherine Schricke, ancienne boursière du DAAD

 

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Cette exposition organisée du 28 mars au 24 juin 2013 par le musée du Louvre, avec la collaboration du Centre allemand de l’histoire de l’art, s’inscrit dans le cadre de l’année franco-allemande pour le cinquantenaire du traité de l’Elysée.

Le titre de l’exposition fait référence à l’ouvrage « De l’Allemagne » de Madame de Staël (paru en 1813), invitation à découvrir la culture allemande. A cette époque, le pays est morcelé en une multitude d’états (il fera son unité en 1871), centres politiques et artistiques (Dresde, Munich, Düsseldorf… puis Berlin) : il n’y a  pas alors d’identité culturelle homogène et donc pas d’ «art allemand» en soi.

Tout au long du 19ème , conséquence en partie de la révolution française et des guerres napoléoniennes, le sentiment patriotique va s’affirmer et s’exprimer.

Quel est le but de l’exposition ? la naissance d’une nation à travers sa peinture ? la construction d’un art allemand ? alors que les influences et les échanges resteront nombreux en Europe (France et Italie notamment) et au-delà.

Le parcours proposé est une découverte via 3 clés de lecture, sous un angle philosophique :

  • le rapport au passé
  • le rapport au paysage
  • le rapport à l’individu

L’œuvre d’Anselm Kiefer créée spécifiquement pour cette occasion, ouvre et termine l’exposition : dans un espace circulaire,  figurant sur des panneaux en bois,  2 rives séparées par une forêt (presque transparente).

Fil rouge de l’exposition, Goethe dans le célèbre tableau de Goethe dans la campagne romaine de Johann Wilhelm Tischbein, médite sur les antiquités : l’Egypte, la Grèce, Rome. Très engagé pour les arts, il a exercé une influence importante  notamment sur l’art moderne (Bauhaus, Paul Klee, Vassily Kandinsky).

 

Le rapport au passé : d’Apollon à Dionysos

Cette section débute avec Apollon parmi les bergers (Apollon a dû descendre sur terre pour enseigner la poésie aux bergers), de Gottlieb Schick – élève de David, et qui fut réalisé à Rome – chef d’œuvre du classicisme allemand, qui illustre bien cette conception de la beauté dans une « noble simplicité et grandeur tranquille » selon la formule de Johann Joachim Winckelmann.

« Nuit et ses enfants, Sommeil et la Mort » : un très beau dessin de Asmus Jacob Carstens influencé par la renaissance.

Les Nazaréens : composé de Franz Pforr (l’Entrée de Rodolphe de Habsbourg à Bâle), Johann Friedrich Overbeck (Italia und Germania), Julius Schnorr von Carolsfeld (Vierge à l’enfant, et une Annonciation), ce groupe installé à Rome souhaite remplacer le modèle antique en s’inspirant de la renaissance italienne et de l’art gothique allemand. Ils choisissent des sujets religieux ou historiques et prennent pour modèles les primitifs allemands et italiens.

Retour à l’antique grec avec une acropole reconstruite : La Walhalla de Léo Von Klenze.

Retour au gothique avec les représentations de cathédrales : celle de Caspar David Friedrich semble se désincarner, Eglise gothique en ruine de Carl Blechen ou la Vue idéale de la cathédrale de Cologne de Carl Hasenpflug, qui représente la cathédrale achevée alors qu’elle ne le sera en réalité que plusieurs décennies plus tard, car elle va devenir un projet national.

Le Château de Scharfenberg dans la nuit de Ernest Ferdinand Oehme, hanté ?

Du milieu du 19ème jusqu’au début du 20ème siècle, une nouvelle génération va réinventer la tradition classique avec l’Italie comme référence, et revivifier les mythes et les légendes :

Médée à l’urne de Anselm Feuerbach

Sortie des pêcheurs de Hans Von Marées

Persée et Andromède de Lovis Corinth

Combat pour une femme de Frantz von Stuck

Le jeu des Néréides de Arnold Böcklin

Les œuvres de cette partie « Dionysos », sensuelles, cruelles, provocantes, poétiques, carnavalesques peuvent poser un problème d’interprétation : Iphigénie laisse sa place à Médée, mais il est très contestable d’identifier l’âme allemande à cette partie car l’Art nouveau et le Symbolisme existent ailleurs en Europe.

 

Le rapport au paysage

 Dès 1800, la peinture de paysage prend une importance particulière (opposition à la peinture d’histoire en France ? réaction à la tradition classique du paysage en France et en Italie ?). Le paysage « national » devient un enjeu politique.

2 tendances s’exprimeront :

Pour Goethe, le paysage est une observation visuelle et descriptive des formations naturelles : Haute montagne, ou le Monument à Goethe  de Carl Gustav Carus, La cascade du Schmadribach de Joseph Anton Koch

Ou bien il relie le visible au spirituel : Le repos pendant la fuite en Egypte de Philipp Otto Runge, nombreux tableaux de Caspar David Friedrich dont L’arbre aux corbeaux, Femme dans le soleil du matin. Lumière, calme, espace, immensité, immatériel, méditation.

Retour à Goethe avec ses recherches sur la théorie des couleurs et de la lumière, basée sur la réception des couleurs par nos sens (par opposition au spectre lumineux de Newton) ainsi que son herbier, annoté avec parfois des poèmes. Quelques essais de P. Klee, dont un très beau Flore fantastique.

Dans les années 30, le paysage se renouvelle pour lui donner une dimension inquiétante : Eglise dans la Wehde frisonne de Franz Radziwill.

En 1939, Le paysage du Bodensee avec arc-en-ciel, d’Otto Dix, qui se réfère aux peintres anciens pour lutter contre la dictature nazie.

 

Le rapport à l’individu (ecce homo) : allusion à un ouvrage de Nietzsche, et aux multiples représentations de la Passion du Christ

L’unité allemande est réalisée, l’Allemagne est un état moderne et industriel : changement de style avec le réalisme social de La forge ou les cyclopes moderne de Adolf Menzel, 1ère grande peinture industrielle et à ses portraits à la mine de plomb. On pense aux chemins de fer, au bassin de la Ruhr.

On entre ensuite sans transition dans l’horreur du 20ème siècle, des  guerres et des idéologies, dans la tragédie de l’homme confronté à sa propre barbarie.

L’esthétique nazie s’oppose à la singularité de l’individu, qui émerge, défiguré et envahi par le chaos, tableaux désespérés dont

Le crieur de Karl Hofer, Ecce homo de Lovis Corinth, particulièrement saisissants

– les gravures de Käthe Kollwitz sur la souffrance des femmes

Le malade d’amour et Le suicide de Gorge Grosz (la mort, le sang, la décadence)

Quelques extraits de films dans cette section :

Métropolis de Fritz Lang

Les hommes du dimanche de Robert Siodmak et Billy Wilder et en vis-à-vis, Olympia de Leni Riefenstahl sur les jeux olympiques de Berlin en 1936 (le rêve grec de Hitler ?).

Par contraste, la très belle série photographique d’August Sander : ces portraits au regard affirmé sont intitulés par leur métier, qui s’opposent aux foules anonymes, robotisées, normées et figées.

L’exposition se termine avec L’enfer des oiseaux de Max Beckmann, satire du nazisme.

On aurait pu terminer l’exposition sur une autre date que l’entrée en guerre….pour sortir  sur une note plus optimiste, avant de retraverser l’œuvre frontière de Anselm Kiefer et de se poser des questions.

Beaucoup d’artistes découverts (ceux du 19ème en particulier), mais  je regrette que dans la dernière partie, il n’y ait pas plus d’informations sur les mouvements de résistance, liberté et expression collective qui ont joué un rôle important : l’expressionisme, le Blauer Reiter,  Dada, le Bauhaus, ..Certes, des artistes de ces mouvements sont présents dans l’exposition mais ils semblent s’exprimer isolément, ce qui n’a pas été souvent le cas.

Par ailleurs les concepts présentés ne sont pas toujours clairs pour ceux qui ne connaissent pas bien la culture allemande : chaque partie et ses  transitions pourraient être plus explicites, rendant le parcours plus lisible, ce qui aurait peut-être permis d’éviter la polémique Outre-Rhin.

Paris a bien sûr consacré d’autres expositions à la peinture en Allemagne mais l’approche novatrice du Louvre, bien que perfectible, a le grand mérite de nous interroger 200 ans après Madame de Staël, sur notre histoire moderne dans un contexte de crise européenne.

 

Rédigé par Catherine Schricke, ancienne boursière du DAAD